Edito de Frank ALÉTRU, Président du Syndicat National d’Apiculture et de l’Association des Apiculteurs professionnels européens (EPBA)

Promesses et nécessités

Les pays doivent « repenser les régimes de soutien à l’agriculture afin de les rendre aptes à transformer nos systèmes agroalimentaires » en vue de quatre objectifs : « une meilleure nutrition, une meilleure production, un meilleur environnement et une vie meilleure » a déclaré Qu DONGYU, le directeur général de la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture). Il faut se rendre à l’évidence, la réaffectation des soutiens économiques agricoles est une occasion unique de transformer les systèmes de production agricole et les systèmes alimentaires pour conserver la productivité, tout en gagnant en qualité et en respect de l’environnement. Mais, pour y parvenir, un soutien fort des gouvernements sera indispensable.
En effet, les chiffres sont tombés. Une fois de plus, les ventes de pesticides chimiques ont été en hausse en 2020 en France, et amplifiées des stocks constitués par les agriculteurs anticipant des restrictions. En mai dernier, huit exploitations maraîchères et leurs trois intermédiaires ont été condamnés en correctionnelle à Coutances (Manche) à des amendes de 10 000 à 80 000 euros pour un trafic de 132 tonnes d’un produit phytosanitaire interdit, importé d’Espagne. « C’est un révélateur de la place de la chimie dans le monde agricole et de la difficulté de s’en passer quand on est accro », avait estimé le procureur de la République de Coutances, lors de l’audience.
Les récents travaux scientifiques conduits par le CNRS et l’INRAE sur la culture du colza ont démontré que la réduction d’emploi des pesticides associée à un itinéraire technique de pollinisation par les abeilles permettait une meilleure rentabilité, s’il était encore nécessaire de le prouver auprès de la gente négationniste. Tout ceci nous confirme l’urgente nécessité de construire un cadre protecteur pour les abeilles et les autres pollinisateurs, et pour y parvenir, que le gouvernement signe au plus vite l’arrêté « abeilles » en prenant aussi en compte la notion de température durant les plages horaires de traitements autorisés avant le coucher du soleil préconisés par l’ANSES et les syndicats apicoles. En tant qu’apiculteur, au-delà de notre métier d’éleveur, nous devons nous aussi agir à notre échelle pour garantir une alimentation variée et continue pour nos colonies d’abeilles en plantant des arbres et des haies mellifères.
L’api-forestier doit réfléchir à un choix de végétaux adapté aux prévisions climatiques pour 2050.
Le dérèglement climatique qui a tant fait l’actualité cette année a fortement perturbé le développement de nos colonies et anéanti tous les espoirs de récolte de miel dans bon nombre de départements, mettant en difficulté économique des centaines d’exploitations apicoles. À ce jour, plusieurs syndicats départementaux ont lancé auprès de leur préfecture les démarches relatives à leur éligibilité aux mesures de soutien dans le cadre de la calamité agricole. D’autres présidents de syndicats départementaux ont sollicité des aides au produit de nourrissement auprès de leur conseil départemental ou régional et les réponses positives qu’ils ont reçu devraient faire « jurisprudence » auprès des autres départements qui n’ont pas encore obtenu de réponse, et doit motiver ceux qui n’ont pas encore entrepris ces démarches.
Le congrès mondial de la nature de l’UICN (Union Internationale de la Conservation de la Nature) consacré à la préservation de la biodiversité s’est déroulé le mois dernier à Marseille. Il a permis de multiplier les messages sur le lien entre l’effondrement en cours de la biodiversité et les activités humaines ainsi que sur les menaces engendrées par le changement climatique.
De nombreuses motions ont été adoptées, et nombreux aussi étaient ceux qui pensaient que la France saisirait l’occasion pour présenter une politique ambitieuse dans la préservation de la biodiversité et de l’environnement. Mais le niveau de réponse de nos politiques n’a pas été à la hauteur des enjeux, ni de l’extrême urgence. Les français  n’auront pas été convaincus par l’annonce d’Emmanuel MACRON en ouverture du congrès, prédisant une initiative forte pour la sortie accélérée des pesticides lors de la présidence française de l’Union Européenne durant les six premiers mois de 2022, immédiatement modérée par le ministre de l’Agriculture, DENORMANDIE, pour préserver la campagne présidentielle française. Nous avons déjà été suffisamment échaudés par les promesses non tenues, et par le grand écart systématique entre les discours officiels des deux ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique mettant en avant l’urgence de protéger les pollinisateurs, puis par les décisions politiques qui sont prises à l’inverse.
Si nous voulons préserver nos abeilles, notre passion et notre profession, plus que jamais, l’union déjà en route de toutes les forces apicoles françaises et européennes sera nécessaire. Tel sera le message que je porterai à la fin du mois, lors du congrès du DBIB en Allemagne, en ma qualité de président de l’EPBA.

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