Le meilleur miel est celui qui coule de l’extracteur. Son invention par le major de l’armée autrichienne HRUSCHKA, en 1865, révolutionne la technique d’extraction du miel et de manière indirecte sa qualité.

Cependant le miel, comme toutes les solutions aqueuses, sucrées et acides, est instable : Il se transforme avec l’âge et, contrairement au vin, il ne se bonifie pas. Sa lente et inexorable transformation modifie certaines de ses caractéristiques sensorielles et physico-chimiques. Cela fait quelquefois dire à certains que le miel est un produit vivant. C’est bien naturellement faux au sens strict. Le miel contient pourtant certains éléments vivants comme des levures et sa chimie est celle de la chimie du carbone appelée également « chimie organique ». C’est la chimie des sucres, des enzymes qui le composent. Au bout d’un temps plus ou moins long dépendant de l’origine botanique du produits et de ses caractéristiques initiales, humidité en particulier, le miel se dénature, perd ses propriétés, prend de la coloration, de l’amertume… La DDM, Date de Durabilité Minimale, dont la mention est obligatoire sur les pots de miel est là comme « garde fou ».

Jusqu’à cette date, le miel doit avoir conservé, non pas ses propriétés optimales qui sont celles du miel natif, mais ses propriétés sensorielles, physico-chimiques qui font que le consommateur qui l’achète a la garantie d’acheter un produit qui possède encore toutes ses qualités. Au minimum, il est en droit d’attendre que, d’une part le miel n’ait pas fermenté, mais que toutes les caractéristiques légales du décret du 30 juin 2003 soient encore conformes. Beaucoup croient que le législateur impose une date de deux ans à partir de la mise en pot pour cette DDM. C’est absolument faux. Certains miels vieillissent moins vite, d’autres beaucoup plus vite et il m’est arrivé récemment d’analyser plusieurs miels en fin de DDM dont certains critères avaient largement dépassé ceux qui sont prévus par le décret de 2003. Leur DDM, pourtant de 2 ans, avait été largement surestimée et ils n’étaient plus conformes. Il existe des miels de longues et de courtes conservations. Sur quels critères faut-il donc se baser pour fixer la DDM qui reste à l’appréciation du conditionneur ? À lui de bien connaître son produit.

L’Humidité
La limite maximale légale est de 20 %. J’ai déjà eu souvent l’occasion d’aborder cette question. Du point de vue DDM, le risque est la fermentation. Elle est d’autant plus probable que le miel possède une teneur en eau élevée. Pour une humidité inférieure à 18 %, le risque de fermentation est très faible, sauf quelquefois pour certains miels de colza. Ces miels peuvent avoir une DDM élevée. Par contre si un miel possède une humidité de 20 %, il y a un risque de fermentation à très court terme, quelquefois dans les trois mois. Une DDM très courte s’impose donc obligatoirement (1).

La teneur en HMF  (Hydroxy Méthyl Furfural)
Les miels ne contiennent pas d’HMF à l’état natif. Cette substance est un des premiers intermédiaires de la déshydratation des glucides. La déshydratation des glucides est un phénomène connu de tous : c’est la caramélisation. Totale, il ne reste des sucres que du carbone et de la vapeur d’eau. Un des premiers intermédiaires qui conduit des sucres aux “ caramels ” est l’HMF. La réaction est limitée mais spontanée, même à température ambiante, si le milieu est aqueux et acide ce qui est le cas de tous les miels. Elle est accélérée par l’augmentation de la température et de l’acidité. La conclusion est évidente. Plus un miel est acide et plus un miel est stocké à température élevée plus rapidement il atteindra la limite légale de 40 mg/Kg d’HMF.

Le tableau suivant nous donne quelques éléments sur l’évolution de ce paramètre en fonction de la température. Le tableau parle de lui même. À 4°C, température des réfrigérateurs, les miels mettent de 20 à 80 ans pour atteindre le maximum légal de 40 mg/Kg. L’intervalle est large en raison de la différence d’acidité des miels, mais à cette température aucun problème de conservation.

Temps mis par des miels pour atteindre 40 mg/Kg d’HMF
Température de stockage en ° C Durée pour atteindre 40 mg/Kg d’HMF
4 20 à 80 ans
20 2 à 4 ans
30 6 mois à 1 an
40 1 à 2 mois
50 5 à 10 jours
60 1 à 2 jours
70 6 à 20 heures

 

Cependant, en général, le miel est stocké à température ambiante. À 20°C, en 2 à 4 ans il atteint le seuil critique. Si par moment, il est porté à température plus élevée ce temps est abaissé.

Il ne faut pas oublier que c’est un effet cumulatif. La teneur en HMF ne diminue jamais. Le temps fait lentement son œuvre et si le miel est même, durant de courtes périodes à température plus élevée que 20°C la durée de conservation peut être sensiblement raccourcie. N’oublions pas non plus que le refroidissement, comme le chauffage, des miels n’est jamais instantané.

Mais dans la ruche le miel est bien à 30 – 34°C me dit-on parfois. Oui, mais les abeilles m’amassent pas du miel pour le conserver des années !!! On constate malgré tout, en regardant ce tableau, qu’une DDM de 2 ans pour un miel n’est pas quelque chose de stupide. En fait, 3 paramètres conditionnent ce chiffre :

  • l’HMF au moment de la mise en pot. S’il est déjà à 35 voire 40 mg/Kg, il est aberrant de mettre une DDM de 2 ans ;
  • l’acidité du miel. Les miels peu acides (miellats en général, châtaignier, sapin, mais également bourdaine) étant avantagés par rapport à des miels très acides (miels de nectar en général, lavande, trèfle, colza, “ acacia ”…) ;
  • la température de stockage, l’optimum pour les miels cristallisé étant de 14°C. C’est une question complexe parce qu’elle intervient également dans la structure du miel liquide, pâteuse voire “ vitreuse ”, cristallisée plus ou moins finement…

L’activité des enzymes
Les miels contiennent des enzymes. Celles de l’abeille naturellement. Elles ont permis la transformation des nectars en miels. Les miels de miellats contiennent également les enzymes des aphidiens qui ont rejetés ces miellats. Les enzymes sont des protéines. Elles sont fragiles et se dégradent lentement mais sûrement. Là encore la réaction de dégradation est accélérée par la chaleur. Deux enzymes peuvent être couramment dosées dans les miels. En fait, on mesure plutôt leur action, leur activité. L’amylase ou diastase est responsable de l’hydrolyse des amidons en maltose (tous les miels contiennent du maltose). Son activité est mesurée en unités SCHADE. Légalement, sauf exception pour des miels naturellement pauvres en enzymes, elle ne peut descendre en dessous de 8. L’invertase ou saccharase est responsable de l’hydrolyse du saccharose en glucose et en fructose. Il n’y a pas de valeur légale mais la mesure de son activité est intéressante car elle est plus sensible à la chaleur que l’amylase.

Le tableau ci-dessous nous montre l’action de la température sur ces enzymes. La période est la durée durant laquelle l’activité de l’enzyme diminue de moitié. La dernière colonne est une estimation du temps que mettrait un miel qui initialement aurait une activité diastasique de 20 pour atteindre le minimum légal de 8.

 

Température de chauffage
ou de conservation
Période Amylase Période Invertase Temps de conservation
si 20 unités diastasiques initiales
10°C 12600 jours 9600 jours Environ 45 ans
20°C 1480 jours 820 jours Un peu plus de 5 ans
25°C 540 jours 250 jours Presque 2 ans
30°C 126 jours 48 jours 5 mois et demi
40°C 31 jours 10 jours 41 jours
50°C 15 jours 32 heures 20 jours
60°C 16 heures 3 heures 21 heures
70°C 4 heures 30mn 40 minutes 6 heures
80°C 1 heure 10 mn 8 minutes 1 heure 30 mn

 

Là également l’influence de la température est nette. Pour un miel qui n’aurait initialement qu’une activité diastasique de 10, ces chiffres seraient à diviser par deux. Comme pour l’HMF, une DDM de deux ans pour les miels n’est pas un chiffre “ idiot ”, mais là également il est indispensable de tenir compte de l’activité diastasique initiale et des conditions de stockage. Les miels naturellement pauvres en enzymes peuvent avoir une activité diastasique aussi basse que 3 mais à la stricte condition que leur HMF ne dépasse pas 15 mg / Kg (et non pas 40).

Quels sont ces miels? On cite le plus souvent les citrus, mais les robiniers faux acacia sont quelquefois dans ce cas… et ce sont souvent les plus beaux miels. Ils sont le résultat d’une très forte miellée sur acacia avec production de nectars très concentrés. Les abeilles les “ travaillent ” donc peu, d’où peu d’enzymes, d’où une faible activité diastasique (quelquefois moins de 8) et une teneur en saccharose supérieure à 5 %… D’où une prudence indispensable au niveau de la DDM qui ne peut pas être de deux ans.

Inversement des miels de sapin, peu acides, très riches en enzymes peuvent quelquefois avoir des DDM de 4 ans sans problème.

J’ai eu l’occasion d’analyser, il y a quelques années, un miel de sapin oublié dans une cave et ayant été produit par le grand-père apiculteur. Ce miel avait au moins l’âge vénérable de 20 ans et l’ensemble des critères légaux était encore conforme.

On raconte quelquefois que le miel prétendument trouvé dans les pyramides était consommable et excellent mais là c’est vraiment trop, une DDM de 4000 ans, aucune solution sucrée ne peut tenir aussi longtemps même dans le microclimat des pyramides…

 

Article paru dans l’Abeille de France

Paul SCHWEITZER
Laboratoire d’analyses et d’écologie apicole
© CETAM-Lorraine

 

(1) À moins que le miel n’ait été pasteurisé mais ce qui peut poser alors d’autres problèmes.