D’où proviennent les grains de pollen présents dans les miels ?
En général, de la flore située dans l’aire de prospection des abeilles qui ont fabriqué ce miel, mais certaines pratiques apicoles comme la transhumance, l’échange de cadres entre colonies modifient ce tableau idéal. Les paramètres qui interviennent dans le profil pollinique des miels sont en réalité très nombreux. En premier lieu c’est l’abondance naturelle des grains de pollen dans le nectar qui « donne la note »… Les cultivars hybrides comme le lavandin ou certains « citrus » (surtout les orangers, les clémentiniers) n’en contiennent que très peu, quelquefois moins de 100 grains par gramme de miel alors que ce chiffre peut passer à plus de 100 000 pour le châtaignier et même à plusieurs millions pour des espèces comme le myosotis. Quant aux miels de miellats, issus de la sève élaborée, ils n’en contiennent pas du tout à l’état natif. La différence d’abondance des pollens dans les miels de nectar s’explique par une différence d’abondance initiale dans les nectars mais l’abeille, en raison de sa morphologie amplifie encore le phénomène :
Les gros grains (supérieurs à 50 µm de diamètre) sont, en général, produits avec parcimonie par les plantes donc initialement peu nombreux. Mais en plus, ils ne peuvent être aspirés par l’abeille dans son jabot. Ainsi les gros pollens des épilobes ou des mauves ne se retrouvent dans les miels que parce que leurs grains retombent ensuite « accidentellement » dans ceux-ci à partir de la toison de l’abeille ;
Les très petits pollens (inférieurs à 15 µm) sont souvent produits en grande quantité et les abeilles en aspirant le nectar de petites fleurs les concentrent dans leur jabot. C’est ce qui se passe pour le myosotis et le châtaignier. Les petits grains de pollens ont une forte tendance à la sur représentation dans les miels alors que c’est l’inverse pour les gros. À cela s’ajoute d’autres phénomènes :
Les abeilles récoltent également du pollen en pelotes qui rentrent directement dans la ruche et qui « contamine » les miels. C’est le cas du pollen de châtaignier qui est récolté en abondance mais également de plantes non nectarifères comme les chênes, les cistes, les hélianthèmes, les pavots et autres coquelicots, la « reine des prés » ou spirée, des graminées dont le maïs… Tout ces pollens se retrouvent dans les miels quelquefois en de très grandes quantités ;
Certaines espèces ont des fleurs mâles et des fleurs femelles sur des pieds séparés ou non (saules, cucurbitacées). Il est alors évident que seul le nectar récolté sur les fleurs mâles peut contenir du pollen.
D’autres fleurs comme beaucoup de caryophyllacées sont quelquefois butinées à partir de perforations effectuées par des bourdons… avec une absence de pollen lié au comportement de l’abeille.
Il existe également chez certaines espèces des nectaires extra floraux où le nectar qui est produit ne contient naturellement pas de pollen… À l’inverse des pollens anémophiles présents dans l’atmosphère peuvent être capturés surtout par les miellats qui agissent comme des pièges ;
Enfin les pratiques apicoles comme la transhumance, la permutation de cadres entre ruches de ruchers différents sont à l’origine de la présence de certains pollens dans les miels qui voyagent en fonction des manipulation apicoles. C’est le cas du pollen du colza que l’on trouve souvent dans les miels produits sur les robinier faux acacia, cette récolte suivant immédiatement celles des miels de colza…
Le miel est une des seules denrées alimentaires qui contient en son sein une image de l’environnement qui lui a donné naissance. Cette image est très utile pour bien appréhender le produit. Mais c’est une image très déformée de sa composition florale. Il faut savoir l’interpréter. Cela peut se faire, mais demande une très grande expérience et des compléments d’informations qui viennent des analyses physico-chimiques et sensorielles.
Analyses pollinique, physico-chimiques et sensorielles sont les trois éléments indissociables d’une analyse de miel. Mais de toute façon, à l’heure actuelle, il est impossible de déterminer la composition précise d’un miel quel qu’il soit.
Retour sur le cas « châtaignier » : cet arbre « Castanea sativa Mill. » appartient à la famille des fagacées qui comprend également le hêtre et les chênes. Ces derniers ne secrètent pas de nectars, mais sont à l’origine de miellats et très visités par les abeilles pour la récolte du pollen. Ces arbres à pollinisation anémophile produisent du pollen en très grande quantité pour compenser les aléas de ce mode de pollinisation. Ils ne secrètent pas de nectar. Sur ce dernier point, le châtaignier fait exception. Il produit du nectar et éventuellement aussi du miellat. Mais, du point de vue pollinique, il a gardé le comportement des espèces de sa famille botanique avec l’équation suivante : Nectar + production massive de pollen = quantité « astronomique » de pollen dans les miels qui perdure toute l’année dans la ruche. On trouve donc du pollen de châtaignier dans des miels de printemps récoltés avant la floraison de l’arbre et datant de l’année précédente.
L’espèce « Castanea sativa » est largement distribuée en France. Son introduction est très ancienne, l’arbre étant à la fois une plante alimentaire pour ses châtaignes et intéressante pour son bois. Héliophile ou de demi-ombre, il préfère les terrains acides, mais il n’est pas absolument impossible de le trouver sur calcaire. Par contre, il ne se développe pas sur les terrains trop humides.
Les miels de châtaigniers
Ils se distinguent par certains éléments très caractéristiques.
Analyse sensorielle : Issus à la fois de nectar et/ou de miellats, leur coloration est très variable et va d’un brun clair à un brun très foncé. Leur composition en sucres en fait des miels à cristallisation lente et assez grossière. C’est surtout par leur saveur et leur arôme qu’ils se démarquent des autres miels. L’odeur est puissante, forte, persistante. En entrant dans une miellerie, on sait immédiatement si l’on extrait du miel de châtaignier.
La saveur est toujours amère voire très amère. « On aime ou on n’aime pas » avec une conséquence importante : même très dilué dans un miel léger type « miel de ronces », les perceptions sensorielles sont toujours là. On peut préférer ce type de miel d’origine multiflorale à un miel de châtaignier monofloral, mais le produit n’est plus du miel de châtaignier… On a le même phénomène avec tous les miels ayant des caractères sensoriels très marqués (tilleul, lavande…).
Analyse pollinique : Toujours du pollen de châtaignier à plus de 90 %. Mais ce caractère est peu discriminant car il existe des miels de lavandes, de ronces ou de sapin qui contiennent également 90 % de pollen de châtaignier. On trouve presque toujours l’association castanea – rubus, les ronces étant très attractives pour les abeilles.
Physico-chimie : En raison d’une forte minéralisation des nectars et des miellats, ces miels ont toujours une conductivité électrique très élevée pouvant quelquefois approcher les 2000 µS/cm (elle n’est que de 150 µS/ cm pour un miel de colza ou un miel de robinier faux acacia). Se pose le problème de la limite inférieure à admettre pour l’appellation. 800 µS/cm ? 1000 µS/cm ? J’ai interrogé le laboratoire de la DGCCRF de MARSEILLE à ce sujet car il semble que le décret du 30 juin 2003 soit mal interprété : « …Miel de miellat et miel de châtaignier et mélange de ces miels à l’exception de… : pas moins de 0,8 mS/cm) ». Cette limite de 0,8 mS/cm = 800 µS/cm n’est pas une norme pour le miel de châtaignier mais une limite minimale pour les miels de miellats, de châtaignier ou de mélange c’est une règle générale. Elle ne s’applique pas pour une appellation particulière. Ainsi pour le sapin, la limite minimale retenue est le plus souvent de 950 µS/cm et pour le châtaignier, c’est le chiffre de 1000 µS/cm qui est le plus souvent retenu. Ce n’est d’ailleurs pas le seul élément à prendre en compte. Car, si la conductivité électrique d’un miel de châtaignier baisse lorsque celui-ci est mélangé à de la ronce, elle pourra augmenter si celui-ci est mélangé à d’autres miellats, ceux des chênes par exemple. Ces derniers miels auront une conductivité électrique élevée, seront majoritaires en pollen de châtaignier (les chênes ne produisent pas de miellats à l’époque de leur floraison). L’étude des sucres avec un rapport Fructose/Glucose généralement supérieur à 1,4 et pouvant être très élevé (jusqu’à 1,8) est déterminant. Ce caractère donne aux miels de châtaigniers un pouvoir rotatoire négatif (moyenne –17°), alors qu’il est positif pour les miellats… L’étude de l’acidité avec un pH initial très élevé, le plus souvent supérieur à 5,0 et pouvant dépasser les 6 est également typique, la teneur en lactones est également assez faible.
C’est l’analyse de l’ensemble de ces paramètres qui servira à donner une appellation « châtaignier » ou à la refuser. La promotion de miels de qualités passe par le respect du consommateur. Ce dernier, de plus en plus souvent connaisseur, doit trouver dans le pot qu’il achète un produit qui est en concordance avec ce qui est marqué sur l’étiquette.
Extrait de l’article « Le miel de châtaignier » de Paul Schweitzer du Laboratoire d’analyses et d’écologie apicole © CETAM-Lorraine paru dans L’Abeille de France