Article paru dans l’Abeille de France

Paul SCHWEITZER

Laboratoire d’analyses et d’écologie apicole

© CETAM-Lorraine

 

L’histoire du miel commence il y a bien longtemps, très longtemps… C’est le fruit d’une histoire d’amour, d’un mariage illégitime entre celles que l’on a appelées les angiospermes ou plantes à fleurs et les insectes pollinisateurs dont l’abeille Apis mellifera est le plus illustre représentant.

Les premières plantes à fleurs apparaissent probablement il y a 130 millions d’années, plus précisément à la fin du Jurassique. Elles « exploseront » dans leur diversité après la disparition des dinosaures, il y a 65 millions d’années. Cette formidable réussite est la conséquence de deux inventions de la vie végétale : le pollen et la graine.

Grâce au pollen qui est déjà apparu chez les gymnospermes, la reproduction des végétaux s’affranchit de l’eau. La graine elle, qui contient une « plante miniature », assure la survie de l’embryon végétal et la dissémination de l’espèce. Si les premiers arthropodes apparaissent au Cambrien, la radiation des insectes sera concomitante de celle des plantes à fleurs et l’on retrouve des abeilles fossilisées dans l’ambre datant des époques « éocène » et oligocène ». (- 58 à 24 millions d’années pour les 2 périodes).

Aujourd’hui les 275 000 espèces d’angiospermes occupent tous les milieux et presque toutes les latitudes. Il s’agit de l’une des plus extraordinaires réussites de la vie. Ainsi le Sahara n’est-il pas toujours aussi désert que l’on croit1 et la renoncule des glaciers croît jusqu’à 4 000 mètres. Quand aux abeilles, comme l’homme, elles naissent probablement en Afrique, mais bien avant lui, il y a environ 100 millions d’années. Elles ont probablement pour lointain ancêtre une guêpe proche des sphégiens qui a évolué en abandonnant la prédation pour un régime végétarien à base de pollen. Tout d’abord solitaires, le développement de la vie sociale leur permet d’étendre leur territoire en Europe et en Asie jusqu’au cercle polaire. L’immensité des océans, barrière naturelle infranchissable, ne leur permettra cependant pas de conquérir ni les « Amérique », ni l’Australie. Ce n’est qu’à partir du XVIIème siècle qu’Homo sapiens donnera le coup de pouce en les transportant avec lui à la conquête des nouveaux mondes…

Les abeilles et les plantes à fleurs évoluent ensemble – on parle de coévolution. Ainsi les plantes à fleurs attirent les insectes pollinisateurs par leur corolle, leur parfum, leur nectar. Quant à nos abeilles, leurs capacités sensorielles, vision, olfaction, sens du temps, navigation et leurs comportements sociaux, danse, trophallaxie, facultés d’apprentissage optimisent la récolte du nectar et du pollen…

La coévolution des angiospermes et des pollinisateurs a favorisé la production de nectar. L’origine de cette sécrétion est peut-être à chercher dans une sorte de trop plein de sève. Certaines fougères peuvent ainsi déjà exsuder un liquide plus ou moins sucré. Le nectar est produit par des organes plus ou moins spécialisés, les nectaires le plus souvent floraux dont il existe différents types. Les plus fréquents sont les nectaires histoïdes (seuls les tissus sont différenciés). Mais les nectaires les plus simples ne font apparaitre aucune différenciation morphologique alors que, au contraire, il existe, chez les renonculacées des nectaires floraux formant de petits organes, les nectaires organoïdes. Les plus volumineux possèdent une vascularisation propre généralement en provenance du phloème2. Certaines plantes possèdent des nectaires extrafloraux. Ils peuvent être situés sur les feuilles (laurier-cerise), les pétioles (viorne, merisier), les stipules (sureau, certaines fabacées) ou même les bractées ou les tiges…

Mais, toutes les fleurs ne possèdent pas de nectaires. Certaines sont, malgré tout, visitées par les abeilles pour le pollen. Les exemples les plus connus sont les papavéracées (coquelicot), les cistacées (cistes et hélianthèmes) mais également certaines rosacées comme la spirée encore connue sous le nom de « reine des prés » (Filipendula ulmaria ). Les nectars peuvent être plus ou moins dilués et leur composition en sucres dépend de l’origine florale. Ils sont à saccharose prédominant chez le marronnier (Aesculus hippocastanum), à taux égaux de saccharose, fructose et glucose chez le trèfle blanc (Trifolium repens), les cerisiers (Prunus spp.), les aubépines (Crataegus spp.) ; le groseillier (Ribes rubrum) et les glucose et fructose prédominent chez le colza (Brassica napus), le poirier (Pyrus communis), le framboisier (Rubs idaeus)… Dans ce dernier cas, c’est en principe le fructose qui prédomine avec un rapport Fructose/Glucose (F/G) pouvant aller de 2 à 28 – lamiacées (thym). C’est le contraire pour les brassicacées, colza par exemple.

Les nectars contiennent également des acides organiques, des acides aminés, des amides, des polypeptides et des protéines, des enzymes, vitamines, sels minéraux et des composés aromatiques qui jouent un grand rôle dans la reconnaissance et les échanges alimentaires qui existent au sein de la colonie d’abeilles (marqueurs olfactifs). Ce sont également eux qui vont communiquer à chaque miel des caractéristiques sensorielles particulières et originales. On va y retrouver certains « principes » de la plante-mère. Ils peuvent être différents de ceux qui sont contenus dans d’autres parties de la plante, feuilles, fleurs, racines…

La production nectarifère est sous la dépendance de nombreux facteurs. Les facteurs intrinsèques dépendent de la plante elle-même. Les facteurs extrinsèques dépendent de l’environnement.

Des facteurs intrinsèques

Le premier est évidemment la présence ou l’absence de nectaires. Ensuite d’une manière générale plus une fleur est grande plus elle secrète du nectar. La tendance est vraie à la fois pour les comparaisons inter et intra espèces, mais également pour une plante donnée. Ainsi les fleurs les plus petites produisent moins de nectar que les plus grandes.
La durée de la floraison qui peut être quelquefois très courte ou très longue à une grande influence sur la valeur nectarifère des plantes. Le colza fleurit pendant trois semaines, le robinier faux-acacia seulement 8 – 10 jours.
Le cas des plantes dioïques et monoïques est très particulier. Chez les plantes dioïques, il existe des fleurs mâles (possédant uniquement des étamines) et des fleurs femelles (possédant uniquement des ovaires) sur des pieds séparés. Les deux types floraux possèdent généralement des nectaires mais le rendement peut être différent. Les saules (Salix spp.) sont dans ce cas et ce sont les fleurs mâles qui secrètent ici, le plus de nectar. Les cucurbitacées sont en général monoïques. Elles portent des fleurs mâles et femelles sur le même pied. Là, ce sont les fleurs femelles qui secrètent le plus de nectar…
En général, les espèces sauvages sont plus nectarifères que les espèces cultivées et pour ces dernières il existe de de très grandes différences entre les cultivars (facteurs génétiques). Enfin, la production de nectar varie également en fonction de l’âge de la fleur. Quelquefois ce sont plutôt les vieilles fleurs qui produisent le plus de nectar (tilleul) alors que c’est l’inverse chez le marronnier.

Des facteurs extrinsèques ou environnementaux

D’une manière générale, plus une plante est proche de son préférendum écologique, plus la production de nectar est abondante. Il faut toujours utiliser les comparaisons anthropiques avec prudence. Mais d’une certaine façon, plus une plante est dans un biotope favorable, plus elle est « heureuse » et plus la production nectarifère est abondante et inversement….
Bien que s’étant affranchies de l’eau pour la reproduction, la vie des plantes terrestres est malgré tout toujours liée à cette présence d’eau. Le nectar contenant de l’eau et les sucres eux-mêmes étant également fabriquées à partir d’eau et de dioxyde de carbone grâce à la photosynthèse, l’eau est l’élément clé de la sécrétion de nectar et d’une manière générale la sécheresse tarit les sources de nectar quand, combinée à la chaleur, elle ne brûle pas les fleurs elles-mêmes. Chaque espèce florale ne peut croître que dans certaines conditions hydriques et l’humidité du sol est un des facteurs les plus importants contrôlant la production de nectar.
L’humidité relative de l’air également – un air trop sec ralentissant la sécrétion. Il existe pour chaque plante un optimum hydrique ainsi qu‘un optimum pédologique : sol calcaire (basique), sol siliceux (acide)… Il existe également des optima thermiques pour la production du nectar ainsi les tilleuls (Tilia spp) préféreront les nuits froides alors que le robinier faux acacia a besoin de chaleur (au moins 20°C).
Interviennent également le vent, les orages, la lumière, l’état sanitaire des plantes, la latitude et l’altitude…
En fonction de chacun de ces paramètres une même espèce pourra produire du nectar. Ainsi s’expliquent certaines différences, certains auteurs attribuant une grande valeur nectarifère à une plante et d’autres non.

Ainsi s’expliquent les différences constatées par les apiculteurs sédentaires qui pour des ruches placées au même endroit produisent ou produisent moins des miels différents d’une année sur l’autre, la flore étant potentiellement inchangée… A cela s’ajoute, les informations environnementales recueillies par les butineuses qui peuvent varier d’une ruche à l’autre. Cela s’observe particulièrement bien pour le pollen : durant une même période, deux ruches placées côte à côte récoltent des pollens de couleur complètement différentes…. Le même phénomène existe pour le nectar, mais il est moins visible…

 

 

 

1 L’ensemble du Sahara, l’ensemble des espèces végétales comprend environ 650 espèces dont 25% sont endémiques.

2 C’est dans le phloème que circule, chez les végétaux, la sève élaborée, c’est-à-dire la sève riche en sucres issus de la photosynthèse. Cette circulation part des feuilles vers le reste de la plante. A l’inverse, la sève brute, non sucrée, qui part des racines circule dans un autre réseau le xylème.