Edito de Frank ALÉTRU, Président du Syndicat National d’Apiculture et de l’Association des Apiculteurs professionnels européens (EPBA)

Quand certains transforment la guerre en Ukraine en alibi

Même si l’Ukraine est un de nos premiers concurrents au niveau du marché du miel de tournesol, et aussi une nouvelle porte d’entrée vers l’Europe des miels de Chine, en aucun cas la guerre engagée par la Russie contre l’Ukraine ne peut être considérée comme une bonne nouvelle. En revanche, au moment où j’écris ces lignes, le retrait des troupes russes autour de Kiev, résultat d’une combativité exemplaire du peuple ukrainien face à l’envahisseur, en est une, à moins qu’il ne s’agisse d’une stratégie de l’envahisseur. C’est aussi un exemple de plus dans la démonstration de l’efficacité de l’union des forces, telle que le Syndicat national d’apiculture (SNA) ne cesse de la mettre en œuvre au travers de ses initiatives pour la mise en place de la lutte collective contre le frelon asiatique, les diverses formations apicoles de groupe, la promotion des ruchers-écoles, et le tout récent plan de surveillance national d’Aethina tumida auquel sont associées les structures apicoles départementales.

La situation en Ukraine a été immédiatement exploitée, tels une opportunité et un alibi, par les promoteurs d’une agriculture intensive, grande utilisatrice d’intrants et de pesticides chimiques aux effets délétères bien connus sur la santé humaine et sur la biodiversité. Ceux-ci, en brandissant une hypothétique situation d’insuffisance de production alimentaire en Ukraine, ont tout de suite réclamé et quasiment obtenu dans la foulée l’annulation de toutes les décisions en faveur de la protection de l’environnement, la mise en culture des jachères et l’abandon des décisions favorables au développement d’une agriculture durable. Si ces orientations venaient à exécution, ce serait un recul de plus de vingt ans de combat. Le SNA s’est associé à de nombreuses ONG pour s’opposer à un tel retour en arrière, et proposer les solutions déjà bien connues du gouvernement qui permettent de répondre aux besoins alimentaires dans le cas d’une éventuelle pénurie, tout en protégeant la biodiversité et la qualité des aliments produits. Ce nouveau combat sera compliqué et va demander vigilance et clairvoyance de tous les élus, députés et sénateurs mais aussi la réaction de nous tous, à tous les niveaux décisionnels et d’influence de la république et des médias pour éviter cet éventuel retour en arrière.

Les stocks de miel sont au plus bas chez les apiculteurs de France, à un niveau jamais connu depuis des dizaines d’années. Nos confrères des pays d’Europe centrale, habituellement largement excédentaires et exportateurs, se trouvent dans une situation comparable, et nous assistons à une amorce justifiée de la remontée des cours des miels européens. Il n’en demeure pas moins que perdurent des importations de miels ou pseudo miels en provenance d’Asie ou d’Inde qui alimentent la guerre des prix que se livrent les enseignes de la grande distribution et qui tirent les prix de vente aux consommateurs vers le bas, tout en dégradant souvent l’image qualitative du miel. Plus que jamais, le syndicalisme apicole va devoir envisager une politique de communication nationale génératrice de la confiance des consommateurs envers les miels de France.

Les ministères de l’Agriculture et de la transition écologique ont enfin fait paraître au Journal officiel la liste des plantes considérées comme non attractives. Une fois de plus, il nous faut hélas constater, soit une réelle méconnaissance du dossier par les ministères en charge de celui-ci (ce que nous ne pouvons croire tant nous leur avons adressé des éléments techniques et scientifiques aux références incontestables leur permettant d’établir une liste précise et sans ambiguïté), soit que la puissance des lobbies de l’agrochimie a obtenu le dernier mot. Vous pourrez lire, en pages intérieures, nos réactions.

Les retours de bilan sur les visites de sortie d’hivernage continuent de nous parvenir avec leurs lots désespérants de constats de pertes massives de colonies d’abeilles. Ces pertes sont souvent attribuées, soit à un niveau d’efficacité trop bas des produits de lutte contre la varroase, soit à une mise en œuvre trop tardive de l’itinéraire technique et sanitaire de lutte contre la varroase. Le taux de ruches orphelines et/ou bourdonneuses représente aussi une part non négligeable des pertes et peut être imputé aux conditions climatiques défavorables lors des périodes de vols de fécondation.

La saison a démarré de bonne heure et, pour les colonies qui ont bien passé l’hivernage, celles-ci présentent de belles populations. La période de froid de ce début d’avril aura donné un coup de frein à leur développement, souhaitons que cela se soit limité à cela et que les gelées n’aient pas anéanti les bourgeons des acacias. Les premiers frelons asiatiques ont déjà été piégés jusqu’en région parisienne chez ceux qui ont eu le bon réflexe de positionner les pièges tôt.

Quel que soit le sujet, vigilance et anticipation doivent constamment rester à l’esprit des apiculteurs, tel un réflexe de protection.

Pour plus d’informations consultez le site de l’Abeille de France