Tribune parue dans « Le Monde » le 27 avril 2021

La France ne doit plus opposer l’apiculture à l’agriculture, ni feindre d’ignorer encore la valeur économique de la pollinisation, affirment sept responsables d’organisations représentant l’apiculture française, en réponse à une tribune publiée par « Le Monde ».

Tribune. Dans une tribune publiée le 15 avril par Le Monde, Christiane Lambert, présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et Eric Lelong, président de l’interprofession apicole Interapi, proposaient, à propos du plan pollinisateurs annoncé par le gouvernement, d’écouter « la sagesse du terrain ».
Celle-ci consistant selon eux à éviter de nous focaliser « sur l’interdiction de certains produits de traitement que nos voisins européens continueront à utiliser ». Responsables de la quasi-totalité des organisations apicoles françaises, nous dénonçons vivement cette prise de position. La sagesse du terrain… parlons-en ! Car ce « terrain » évoqué par les signataires de la tribune, les abeilles le connaissent bien. Il est miné aux pesticides.

Menacées de disparition imminente comme les autres insectes pollinisateurs sauvages, elles en sont les malheureuses victimes depuis le début de l’histoire de la protection des cultures et en particulier depuis ces trente dernières années, avec l’évolution constante des molécules utilisées telles que les néonicotinoïdes. Les apiculteurs en font les frais, de façon récurrente : 30 % de mortalité annuelle des colonies d’abeilles (selon le programme européen EPILOBEE de surveillance active de la mortalité des colonies d’abeilles). Sans avoir jamais été indemnisés !

Et parce qu’ils osent dénoncer cette réalité qui détruit leur outil de travail – conséquence de dysfonctionnements scandaleux dans les processus d’autorisation de mise sur le marché des poisons, et de cet effroyable système qui consiste à encourager leur usage –, ils sont en prime accusés par ceux qui l’entretiennent, de pratiquer un « agribashing » !

Des substances toujours plus toxiques

La pollinisation, qui consiste en un partenariat gagnant-gagnant entre l’agriculteur qui a besoin des abeilles pour ses productions et l’apiculteur qui a besoin de fleurs pour ses abeilles, a depuis toujours impliqué l’instauration d’un dialogue entre les deux acteurs ! Contrairement à ce que prétendent les deux signataires, « consolider ce dialogue » ne saurait suffire, cependant, à sauver les insectes pollinisateurs…

Quant à la « sagesse », également évoquée par eux, c’est là une toute notion qui a disparu au fil du temps sur le terrain de l’agriculture chimique avec l’utilisation de substances toujours plus toxiques. Comme d’ailleurs les notions élémentaires d’agronomie et de respect de la faune auxiliaire, indissociables, pourtant, d’une agriculture responsable et durable.

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La « sagesse » d’un terrain favorable aux insectes pollinisateurs, c’est la qualité sanitaire des fleurs qu’il leur procure, exemptes de résidus de pesticides. La population d’insectes volants a chuté de plus de 75 % en Europe en l’espace de trente ans. Ce chiffre alarmant ne laisse plus de place au doute quant à l’urgence de changer de pratiques et de mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour sauver et pérenniser les 20 % d’insectes volants survivants et ce qui reste de la biodiversité.
L’objet de cette tribune inspirée par la FNSEA et que nous dénonçons vivement, est de contester la révision de la réglementation encadrant l’usage des pesticides (l’arrêté « abeilles », datant de 1975 et modifié en 2003), leur classification et leurs conditions d’application. Son but est aussi de rejeter aussi la révision des homologations que nous, apiculteurs et défenseurs de l’environnement, revendiquons depuis tant d’années.

Un plan pollinisateur qui tarde

Le plan pollinisateurs annoncé par le gouvernement – et qui tarde à venir – vise, notamment, « à renforcer leur protection pendant les périodes de floraison, et à mieux prendre en compte les enjeux associés aux pollinisateurs au moment de la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques ».
Le plan pollinisateurs prévoit ainsi, en particulier, la révision de l’arrêté « abeilles », depuis longtemps obsolète. Une révision indispensable et urgente, maintes fois promise, mais toujours reportée. Cet arrêté a fait l’objet d’un avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) publié en février 2019. Le gouvernement doit donc s’appuyer sur ces recommandations « visant à renforcer le cadre réglementaire relatif à la protection des abeilles et autres insectes pollinisateurs en réduisant leur exposition aux produits phytopharmaceutiques ».

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Saisie par le ministère de l’agriculture et de l’alimentation et le ministère de la transition écologique et solidaire, l’Anses, devenue en 2011 laboratoire européen de référence pour la santé des abeilles, a formulé également des orientations pour le renforcement de l’évaluation des pesticides vis-à-vis des abeilles et autres pollinisateurs, l’ensemble permettant de garantir un niveau de protection satisfaisant.

Elle préconise en particulier d’élargir à toutes les catégories de pesticides l’interdiction de traitement sur cultures en fleurs, et de limiter l’autorisation des épandages de pesticides sur ces cultures exclusivement à partir du coucher du soleil (tel que défini par l’éphéméride) et dans les trois heures suivantes.

Une préconisation prometteuse

La seconde préconisation majeure de l’Anses – appliquée depuis plusieurs années déjà, avant même le nouveau cadre réglementaire attendu, par la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) de Vendée, la coopérative des vins des coteaux de Buzet, la coopérative Cavac pour les semences de colza, l’Association nationale pommes-poires dans le cadre des vergers labellisés écoresponsables, etc. – s’avère efficace et prometteuse.

Elle permet aux agriculteurs de bénéficier de l’impact économique considérable que génère la pollinisation de leurs cultures, quantitativement et qualitativement, et de réduire significativement, aussi, les quantités de pesticides utilisés. Elle contribue à mieux protéger leur santé, ainsi que celle des riverains.

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Appliquer ces recommandations permettra à l’apiculture de ne plus subir la dictature agrochimique sans issue, et de retrouver sa vocation originelle d’alliée de la production agricole. Appliquer ces recommandations de l’Anses en France, c’est aussi montrer l’exemple au plan européen. Au-delà des préconisations de l’Anses, le retour à toutes les pratiques vertueuses agroécologiques (rotations et diversification des cultures, lutte intégrée, infrastructures agroécologiques…) améliorera notablement l’image de l’agriculture vis-à-vis des consommateurs, soucieux de la qualité de leur alimentation et de l’avenir des abeilles.

La France ne doit plus opposer l’apiculture à l’agriculture, ni feindre d’ignorer encore la valeur économique de la pollinisation. Notre indépendance alimentaire, que la crise sanitaire a mise en lumière comme un objectif prioritaire, est intimement liée à l’avenir des abeilles et de l’ensemble de la faune pollinisatrice.

Les signataires : Frank Alétru, président du Syndicat national d’apiculture (SNA) ; Thierry Dolivet, responsable de la commission apicole nationale de la Confédération paysanne ; Patrick Gruez, administrateur de Provence Miel ; Christian Pons, président de l’Union nationale de l’apiculture française (Unaf) ; Béatrice Robrolle, présidente de l’association Terre d’abeilles ; Marie-France Roux, porte-parole de la Fédération française des apiculteurs professionnels (FFAP) ; Joël Schiro, président du Syndicat des producteurs de miels de France (SPMF).

Collectif

 

Tribune du 27 avril parue dans « Le Monde »

 

Tribune du 15 avril parue dans « Le Monde »