Par Éric DARROUZET de l’IRBI, UMR 7261 CNRS – Université de Tours
Article paru dans l’Abeille de France de février 2019

 

Le frelon à pattes jaunes, Vespa velutina nigrithorax, encore appelé le frelon asiatique, est arrivé en France il y a 15 ans environ. Quelle est la situation actuelle, que savons-nous maintenant sur cette espèce invasive après des années d’études, et où en sommes-nous en terme de lutte ?

Qui est le frelon asiatique ?

Vespa velutina est plus petit que le frelon européen Vespa crabo. À la différence de ce dernier qui est jaune rayé de noir, V.velutina possède une livrée noire avec une large bande orangée sur l’abdomen en position dorsale, sa face est plutôt orangée, et l’extrémité de ses pattes jaunes. Cette espèce se rencontre classiquement en Asie du Sud-est. Toutefois, V. velutina a été introduit accidentellement en Corée du Sud, au
Japon et en Europe. D’après des études de génétique, il a été montré que la population introduite en France proviendrait de Chine, notamment des alentours de Shanghai. Un très faible nombre d’individus auraient été introduits, voire une seule reine.

Un peu de biologie

Nid de fondation élaboré par une fondatrice

Nid de fondation élaboré par une fondatrice

Une reproductrice (ou gyne), ayant survécu aux rigueurs de l’hiver, va fonder un nid de fondation au printemps, quand les conditions climatiques sont plus adéquates.

Le nid a la taille d’une balle de ping-pong. Il est constitué d’une dizaine  d’alvéoles élaborées au bout d’un pédicelle fixé sur un support (en général sous un abri). La gyne va ensuite entourer le tout par un support (en général sous un abri). La gyne va ensuite entourer le tout par une première enveloppe de protection, puis une seconde et enfin une troisième. Les matériaux de construction consistent en des fibres végétales que la femelle
collecte sur du bois. Elle les broie avec ses mandibules, en y ajoutant des sécrétions salivaires. Elle constitue ainsi une sorte de boulette malléable et humide qu’elle déposera sur son nid en construction. De fait, le nid est fabriqué dans une sorte de papier. La fondatrice pond un œuf par alvéole.

Quand les larves vont émerger, elle va collecter du sucre sur des plantes et chasser des insectes afin de les alimenter. Cette période est critique, car elle est seule pour réaliser toutes les tâches (fabrication du nid, ponte, collecte de matériaux de construction et de nourriture, soin aux larves, nettoyage du nid, contrôle de la température dans le nid, défense du nid…).
Par conséquent, tout évènement entrainant sa mort conduit à la mort de la colonie.

Durant cette période, de nombreuses gynes entrent en compétition (combats mortels) afin de récupérer le nid. D’autres évènements peuvent aussi tuer la fondatrice : si elle est tuée par un oiseau prédateur, un agent pathogène, un parasite ou un parasitoïde. Toutefois, si tout va bien pour elle, sa colonie peut se développer au cours du printemps et de l’été. Elle pond des œufs qui donneront des ouvrières qui au stade adulte vont au cours du temps agrandir le nid, s’occuper de la collecte de tout ce qui est nécessaire à la colonie (nourriture, matériaux), du soin au couvain et de la protection de la colonie.

La reine ne fera à terme que de la ponte. Comme toute espèce hyménoptère sociale, la colonie va s’agrandir et ne contenir que des femelles (la reine et les ouvrières) du printemps à la fin de l’été. Ce n’est qu’à partir de septembre que la colonie va entrer dans la phase de reproduction et produire des individus reproducteurs des deux sexes (mâles et gynes). Ceux-ci vont être produits de septembre à début décembre. Une fois adultes, ils quitteront après quelques jours le nid pour s’accoupler. Les mâles vont rapidement mourir, alors que les gynes, après avoir stocké les spermatozoïdes suite à l’accouplement, vont se disperser et rechercher un endroit protégé afin de passer l’hiver endormies à l’abri. La reine à l’origine de tous les individus de la colonie va mourir courant novembre, et à partir de ce moment la colonie va commencer à décliner. Le nid se videra de ses occupants en général avant Noël. Toutefois, il n’est pas rare, selon les conditions climatiques, de trouver encore des nids habités en janvier.

Néanmoins, il a été montré que V. velutina est soumis à un phénomène de dépression de consanguinité, lié à l’introduction d’un faible nombre d’individus en France. Ceci a conduit à une faible diversité génétique de la population invasive, conduisant de fait à la production de mâles diploïdes à la place des femelles (ouvrières et gynes), et ceci tout le long de l’année.

La conséquence sur les colonies et l’espèce reste encore à analyser. Cependant, la production de ces mâles à la place des ouvrières diminue d’autant le nombre d’individus travaillant dans les colonies. Cette diminution peut impacter la taille et la survie à terme de celles-ci. De plus, ils peuvent être produits à la place de gynes, diminuant ainsi le nombre potentiel de futures fondatrices. Enfin, s’ils s’accouplent avec des gynes celles-ci auront une descendance stérile. La production de ces mâles a donc certainement des conséquences importantes sur l’espèce en Europe, mais aucune donnée scientifique n’est actuellement disponible sur cette question.
Suite à l’hiver, une majorité des nids sont vides et se détruiront au cours du temps et des intempéries. Toutefois, il a été observé que certains peuvent contenir des gynes endormies.

Au printemps, les gynes ayant survécu à l’hiver vont rechercher de la nourriture afin de renouveler leurs réserves corporelles, puis, pour certaines un site adéquat pour construire un nid de fondation. Les nids de la saison précédente ne sont jamais réutilisés d’une année sur l’autre.

Des virus, des parasites et des prédateurs !

Suite à son introduction en France, V. velutina est entré en interaction avec de nombreuses espèces locales, en les impactant notamment par ses activités de prédation. Toutefois, le frelon peut aussi être affecté par d’autres interactions. De nombreuses observations font état d’oiseaux capables de chasser V. velutina à distance du nid (les guêpiers par exemple), mais aussi sur et dans le nid par différentes espèces comme les mésanges, les pies, les corneilles, etc. Des mouches de l’espèce parasitoïde Conops vesicularis (espèce européenne) peuvent parasiter une fondatrice au printemps et entrainer sa mort.

Un ver nématode parasitant les frelons au stade larvaire entraine leur mort au stade adulte. Des virus peuvent aussi infecter le frelon, notamment des virus connus chez l’abeille. Cette observation a conduit à la mise en place d’une collaboration entre des chercheurs chinois de Pékin et des chercheurs de Tours. Cette étude a commencé en 2018 et doit analyser la présence de virus spécifiques des abeilles chez les frelons et les abeilles, en France et en Chine. Le but est de déterminer si les frelons sont des vecteurs de virus pouvant infecter et impacter les abeilles.

Répartition actuelle et future

V. velutina a dorénavant colonisé une grande partie de la France. Mais pas uniquement, car on le retrouve au Portugal, en Espagne, sur l’île de Majorque, en Italie, en Suisse, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas, dans les îles Anglo-Normandes et en Angleterre. Si aucun programme de contrôle n’est mis en place afin de limiter l’expansion de cette espèce invasive, les modèles mathématiques montrent que celle-ci
continuera à coloniser de nouveaux territoires. De plus, ils ont démontré que l’Homme a facilité son passage dans le sud de l’Europe et sur l’île de Majorque. Le développement de moyens de lutte est nécessaire et devient urgent.

Des problèmes ?

Les nids de V. velutina sont élaborés à tous les niveaux : sous des plaques
d’égouts, dans des cavités souterraines, dans des buissons, dans des
arbres jusqu’à plus de 30m de hauteur, et dans des bâtiments.

Tout le monde connait maintenant les impacts de V. velutina sur les colonies d’abeilles : prédation, stress des colonies, baisse de l’activité de fourragement, mortalité des colonies… Ce que l’on observe sur les abeilles est certainement identique pour tous les autres insectes. Les activités agricoles ont fait énormément baisser la biodiversité dans notre environnement, mais V. velutina pourrait accentuer ce déclin. Outre les activités
apicoles, d’autres secteurs économiques sont également touchés. L’agriculture tout d’abord. Certes, les attaques de V. velutina sur les pollinisateurs sont inquiétantes pour les activités de pollinisation, mais le frelon peut aussi s’attaquer directement aux fruits.

Le rendement des récoltes peut diminuer si les frelons abîment des fruits comme les raisins, les framboises… afin de récupérer du sucre. Ce frelon, recherchant aussi des protéines, peut à cette fin collecter de la viande sur des cadavres d’animaux, mais aussi sur des étals de marchés. La présence du prédateur, pouvant inquiéter les clients, entraine une baisse de fréquentation de ces marchés et par conséquent, une baisse
du chiffre d’affaire des professionnels. Les nids de frelons pouvant être élaborés dans des haies, des buissons, dans les arbres… peuvent entrainer des accidents aux opérateurs de sociétés de parcs et jardins et élagueurs quand ceux-ci interviennent sur les végétaux sans porter de vêtements de protections contre les attaques de frelons.

Comme mentionné précédemment, les cueilleurs de fruits (récoltes, vendanges) risquent des piqûres quand des frelons sont présents sur les fruits. Des accidents liés aux attaques de frelons sont rapportés chaque année en France et en Europe, parfois mortels.

En Chine, dans l’aire de V. velutina, les apiculteurs ont exactement les mêmes problèmes que leurs homologues européens. Les ruchers d’Apis mellifera et d’A. cerana sont aussi soumis à prédation. À la différence d’A. mellifera, A. cerana peut se défendre lors d’une attaque de quelques frelons, mais reste démunie, comme sa cousine, face à une attaque de nombreux frelons.

Les Chinois sont toutefois moins impactés, car lorsqu’une colonie de frelons est présente à proximité d’un rucher, ils la recherchent activement afin de récupérer les larves et nymphes pour les vendre à des restaurants.

Les plats à base de frelons et guêpes sont fort appréciés par les gourmets et représentent un apport financier non négligeable pour les apiculteurs.

Des solutions ?

Face aux problèmes que pose V. velutina, il est nécessaire de mettre en place des moyens de lutte adaptés, efficaces et sélectifs. Il est largement reconnu que les pièges actuels ne répondent pas totalement à ces critères. Bien évidemment, tant que de nouveaux dispositifs ne sont pas mis sur le marché, ils restent nécessaires et utiles. De nouveaux dispositifs devraient sortir à court terme.

À l’université de Tours (IRBI), plusieurs dispositifs de piégeages sélectifs et efficaces sont en cours de développement (pièges avec appâts à base de phéromones, répulsifs, etc.). Ces travaux devraient donner lieu à un ou plusieurs dispositifs mis à disposition d’ici deux ans. D’autres pistes ont été étudiées ou le sont actuellement. Par exemple, l’utilisation de plantes carnivores (genre Sarracenia) a été envisagée, mais une étude
récente de l’IRBI a montré l’intérêt très limité de celles-ci.

Des pistes de lutte biologique ont aussi été imaginées, avec l’utilisation d’une mouche conopidée (Conops vesicularis) par exemple. Malheureusement, l’espèce étant locale et utilisant des proies comme des guêpes et des bourdons, son utilisation en tant qu’outil de lutte semble inenvisageable (impacts sur d’autres espèces). D’autres pistes sont potentiellement possibles, notamment avec l’utilisation d’appâts contenant un pesticide ou un champignon entomo-pathogène. L’idée est qu’une ouvrière, ramenant au nid une boulette de cet appât, pourrait contaminer et détruire sa colonie (stratégie du cheval de Troie). Néanmoins, aucune étude scientifique n’a démontré l’efficacité de ce type de lutte, ni l’absence de conséquences environnementales sur d’autres insectes, comme les abeilles, et/ou oiseaux.

Outre l’utilisation de pièges, l’autre stratégie en cours d’étude consiste au repérage actif des nids, afin de détruire les colonies. Plusieurs pistes ont été envisagées et certaines sont en cours de développement.

On peut citer le « radio-tracking » des frelons qui consiste à marquer un frelon capturé avec un petit émetteur, puis après l’avoir relâché, de le suivre à distance avec un radar harmonique par exemple, pour localiser son nid. Les dispositifs sont cependant onéreux et lourds pour l’instant, mais ils devraient à terme devenir plus accessibles.

D’autres idées sont aussi en cours d’étude, comme par exemple l’imagerie thermique embarquée sur drone, pour repérer les nids.

A court terme, des outils de lutte efficaces, et ayant été validés par des travaux sérieux, devraient faire leur apparition sur le marché. Nous pouvons donc rester optimistes. Il n’est pas certain que V. velutina sera éradiqué du territoire européen, mais l’espèce sera ramenée à un niveau où elle ne posera pas trop/plus de problème.