Edito de Frank ALÉTRU, Président du Syndicat National d’Apiculture et Vice-président de l’Association des Apiculteurs professionnels européens (EPBA)
Dans un monde normal
La communauté scientifique est aujourd’hui unanime quant à l’impact de la perte de biodiversité sur la durabilité des différents écosystèmes et par effets induits sur les productions agricoles, sur la foresterie, et sur les ressources de la mer dont la résultante globale est la menace inévitable pour la survie de l’humanité. Dans un monde normal, cette dramatique perspective devrait convaincre tous ceux qui nous dirigent de mettre en oeuvre des politiques et des moyens permettant de faire cesser ou de réduire les causes de ces désastres prédits.
L’absence de conscience des enjeux réels en matière de gestion de la santé publique nous alerte aussi chaque jour davantage. Dans une société moderne comme la nôtre, des hôpitaux surchargés, des urgences débordées, des fermetures d’hôpitaux et de maternités, des déserts médicaux qui s’étendent et du personnel médical épuisé ne devraient pas exister car, dans un monde normal, ceux qui nous gouvernent auraient dû stopper cette hémorragie.
Lorsque face à un pesticide ou à une matière active des milliers d’études scientifiques les considèrent comme dangereux pour la santé humaine ou pour l’environnement, dans un monde normal, les autorités en charge devraient prononcer leur interdiction sans délai et sans que les citoyens n’aient à devoir systématiquement saisir la justice.
Lorsqu’en 2004, les apiculteurs du sud-ouest de la France avaient tiré le signal d’alarme pour alerter les deux ministères en charge de l’agriculture et de l’écologie sur le danger évident de la propagation du frelon asiatique Vespa velutina qui engendrait la destruction des ruchers et de l’entomofaune pollinisatrice tout en générant aussi un risque de sécurité sanitaire, ils ne pouvaient imaginer, dans un monde normal, qu’aucune solution pour l’éradiquer ne serait trouvée vingt ans plus tard et que cette prédation intensive concernerait toute une partie de l’Europe !
Lorsque les importations massives de vrais miels et de faux miels envahissent l’Europe pour répondre uniquement à la guerre du « premier prix » que se livrent entre elles les grandes surfaces au détriment des apiculteurs, des entreprises et souvent des consommateurs, dans un monde normal, nos dirigeants européens devraient accentuer les contrôles de qualité aux frontières et pénaliser sévèrement les contrevenants.
Lorsque les linéaires des grandes surfaces proposent massivement des miels à bas coûts, en tirant vers le bas le prix payé aux apiculteurs au détriment de la survie des exploitations apicoles qui se retrouvent impuissantes face à une concurrence déloyale en provenance de pays à faible coût de main d’oeuvre, en toute logique dans un monde normal, nos dirigeants européens devraient appliquer des quotas d’importation de miel déterminés proportionnellement aux niveaux des différentes récoltes afin de garantir l’écoulement de la production nationale. Car il n’est pas normal, avec une production de miel en France qui oscille annuellement entre 15 000 T et 35 000 T, alors que nous devons répondre à une consommation située dans une fourchette de 45 000 T à 50 000T, que les apiculteurs de France puissent rencontrer des difficultés de commercialisation à un juste prix rémunérateur.
Les derniers évènements agricoles en France, en Espagne et en Allemagne mettent en évidence une Europe agricole à la dérive et des dirigeants politiques écartelés entre la pression des lobbies et la nécessaire urgence à agir de façon durable.
Malgré l’évidence, malgré l’urgence, les décisions logiques et courageuses qui devraient s’imposer dans tous ces cas sont parfois annoncées, mais très rarement appliquées et souvent reportées. Ces constats pourraient nous laisser à penser que les citoyens dans leur grande majorité comprennent la nécessité d’agir, à l’exception de ceux qui nous gouvernent ! Nous ne fonctionnons pas dans un monde normal !
Cependant, nous ne pouvons accepter et subir sans broncher les dramatiques conséquences sociales, économiques et environnementales qui en sont les résultantes. Nous ne pouvons pas non plus accepter l’idée que le politique ne peut être porteur de solutions. L’accepter comme tel serait destructeur de tout espoir de changement de notre modèle. C’est pour toutes ces raisons que chacun de nous a un rôle à jouer dans ce combat et que nous devons poursuivre nos engagements syndicaux pour la défense de l’apiculture et des pollinisateurs qui passe par une indispensable amélioration des conditions environnementales et par un contrôle intensif des importations. Ce sont là les missions du syndicalisme apicole qui doit pousser les ministères concernés à prendre à bras le corps la mise en place des solutions durables que nous leur proposons.
Le poids de notre force se mesure et se constate à travers notre union et notre nombre. Le chacun pour soi ne se justifie pas. Soyons toujours plus nombreux à rejoindre les structures syndicales apicoles départementales afin de pouvoir influencer et inscrire de façon durable, dans un monde normal, la volonté politique d’une transition écologique et sociale chez ceux qui nous gouvernent.
Pour plus d’informations, consultez le site de L’Abeille de France