Edito de Frank ALÉTRU, Président du Syndicat National d’Apiculture et Vice-président de l’Association des Apiculteurs professionnels européens (EPBA)
Le gouvernement à contre-courant de l’urgence

 

Le mouvement historique de « fronde agricole » que nous venons de connaître a mis au grand jour la faillite d’un système agricole à bout de souffle et en totale contradiction avec les attentes des consommateurs. Ce modèle agricole productiviste, archi soutenu par des primes européennes qui ne sont qu’un sursis, ne convient plus aux agriculteurs et ils l’ont dénoncé haut et fort. Malgré cela, il vient d’être renforcé par les « reculades » du Premier ministre et du ministre de l’Agriculture avec le consentement du ministère de l’Écologie. Ceci sans pour autant répondre aux véritables doléances de la majorité des agriculteurs : vivre correctement du fruit et de la vente de leurs productions à un juste prix rémunérateur. Nous le savons tous, ces dernières annonces du gouvernement ne parviendront ni à masquer, ni à restaurer, l’échec confirmé d’une agriculture qui non seulement maintient 20 % des exploitants sous le seuil de pauvreté, mais détruit aussi leur santé et celle des consommateurs, ravage la biodiversité, altère la qualité de l’air et de l’eau, ne crée plus d’emplois et a subi un effondrement de 80% de ses actifs au cours des cinquante dernières années.

Les Français attendaient de la part du gouvernement des mesures qui auraient permis de sauver la ferme « France », à laquelle, il faut le reconnaître, ils sont attachés et solidaires en ayant soutenu le mouvement de colère des agriculteurs malgré les gênes occasionnées par les barrages routiers. Mais les déceptions ont été grandes chez les citoyens, et tout particulièrement chez les apiculteurs.

En effet, après plus de 25 années passées à démontrer l’impact des pesticides dans l’effondrement des pollinisateurs et de la biodiversité et après avoir acté qu’il fallait accélérer la réduction de leurs usages, il est impossible de justifier le recul du Premier ministre annonçant « qu’aucun pesticide ne pourra être interdit en France tant que la substance active qu’il contient ne sera pas interdite dans le cadre européen ». Comment est-il possible de concevoir et d’admettre un tel recul en matière de souveraineté d’une nation, face aux risques sanitaires et environnementaux auxquels elle serait exposée ? En effet, lorsque la France se trouvera être la première et la seule à mettre en évidence la toxicité d’une matière active, elle ne pourra plus y mettre un terme au prétexte qu’il faudra attendre, pour pouvoir le faire, que les autres États membres le confirment eux aussi !!
À quoi vont donc servir tous les travaux de l’ANSES dont une des missions depuis 2014 est de mieux évaluer les autorisations d’usages des pesticides pour mieux protéger la santé des citoyens, et dont les éventuelles alertes ne seront dorénavant suivies d’aucun effet ?
Il s’agit là d’un recul majeur et irresponsable qui amènera inévitablement ces décideurs politiques à devoir un jour rendre des comptes aux Français.

Concernant Écophyto, une révision de ce plan était annoncée pour la fin du mois de janvier, mais celle-ci est repoussée et l’indicateur NODU (Nombre de Doses Unités) qui permet de suivre l’efficacité de la réduction des usages de pesticides va être modifié de façon à diminuer sa pertinence. C’est en fait tous les progrès acquis depuis 2007 lors du Grenelle de l’environnement qui disparaissent.
La santé de nos abeilles risque donc d’être à nouveau menacée, tout comme l’environnement et la santé, en toute légalité ! Comment est-il possible de prendre de telles mesures malgré tout ce que nous avons appris de la dangerosité de ces produits ?

Comment ces hommes politiques peuvent-ils nous faire croire que la solution de la problématique agricole passera par le sacrifice de la biodiversité et de la protection de la santé humaine ?

Comme dans d’autres productions agricoles, les apiculteurs de France et de l’UE subissent actuellement une mévente historique du miel en fûts, car ils sont concurrencés de façon déloyale par des miels et des faux miels en provenance de pays à faible coût de main d’œuvre à des prix inférieurs à 2 €/kg. Les apiculteurs attendaient donc que le gouvernement propose des mesures économiques et de régulation du marché en urgence immédiate, qu’ils avaient réclamées, mais pas un mot !

Inévitablement, les apiculteurs se sont mis en colère. Dans des dizaines de GMS, les rayons des magasins ont été vidés des pots de miel d’importation qui représentaient parfois jusqu’à 95 % des références. Face à cette situation, fin janvier, j’ai fait la proposition aux autres syndicats apicoles de réunir nos forces au sein d’une intersyndicale, tout comme je l’avais proposé en 1997 pour lutter, unis, contre le fameux « Gaucho ». La même démarche est engagée auprès des syndicats apicoles des pays membres de l’UE au sein de l’EPBA.
Au moment où j’écris ces lignes, j’ai bon espoir d’y parvenir et nous mettrons en route un ensemble d’actions et d’interventions auprès des acteurs du marché, des conditionneurs et distributeurs, des ministères concernés ainsi qu’auprès des autorités bruxelloises pour la défense d’une apiculture durable.