Edito de Frank ALÉTRU, Président du Syndicat National d’Apiculture et de l’Association des Apiculteurs professionnels européens (EPBA)

Science, politique et justice

La récente décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en faveur de l’interdiction des néonicotinoïdes sonne la victoire des apiculteurs français, un marathon de 26 ans, parti du terrain avec la fameuse affaire « Gaucho® », devenu scientifique, politique, puis juridique. Elle est le fruit de la ténacité du syndicalisme apicole, du courage de quelques scientifiques des laboratoires publics et indépendants, du soutien actif de certaines ONG et de rares personnalités politiques honnêtes. C’est une victoire pour la protection de l’environnement et de la santé, en faveur aussi des générations futures. Mais s’agit-il d’une première ?
– En 1893, les États-Unis ouvrent la voie avec l’affaire de la pêche des phoques du détroit de Berhing.
– Il faudra ensuite attendre 1948 pour que soit adoptée par l’Organisation des Nations unies (ONU) la Déclaration universelle des droits de l’Homme, qui initie la notion de protection des générations futures.
– Et c’est seulement en 1972, lors du premier « Sommet de la Terre » à Stockholm, que le « droit à un environnement sain » a été adopté de façon claire et explicite. Le concept de protection des générations futures se voit enfin doté de l’esquisse d’un cadre juridique.
– Puis, en 1973, l’affaire des essais nucléaires français est portée devant la Cour internationale de justice.
– C’est en 1993 que l’avocat philippin, Antonio OPOSA, ouvre la voie des recours, au nom de la protection de l’environnement dans l’intérêt des générations futures, en obtenant l’arrêt des travaux de déforestation massive aux Philippines. Une décision sans doute favorisée par l’adoption du concept du développement durable lors du sommet de la Terre de Rio en 1992.

Comment la loi définit-elle ce concept ? Par « le mode de développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».

Les évaluateurs du risque, le législateur et la justice ne devraient-ils pas, systématiquement, considérer le non-respect du concept de patrimoine commun de l’humanité comme un crime contre l’humanité ?

Revenons au dossier des néonicotinoïdes. Pour avoir voté pour le maintien de ces toxiques, avoir ignoré les alertes des apiculteurs face aux constats des mortalités massives de leurs abeilles, avoir renié les preuves scientifiques incontestables et négligé le refus des citoyens d’être exposés à un environnement et à une alimentation contaminées, ces députés, sénateurs, ministres et/ou conseillers d’État devraient être condamnés.
Le droit de l’environnement doit définitivement l’emporter sur les intérêts économiques destructeurs. Et alors que le gouvernement prévoit pour les betteraviers un fonds d’indemnisation pour la prochaine campagne – avant même la moindre perte, un droit à réparation devrait évidemment être attribué aux apiculteurs réellement victimes de façon récurrente mais qui n’ont jamais été indemnisés de leurs pertes massives d’abeilles et de leur préjudice économique. Une situation inadmissible et indigne de la République française, que dénonce le Syndicat National d’Apiculture.
À la suite de cette victoire juridique de la CJUE, nous devons faire face à l’inaction politique qui s’assimile à une violation des droits de l’Homme.

Pour exemples : l’absence de lutte organisée contre l’expansion du frelon asiatique sur notre territoire. Par son inaction, ce gouvernement maintient la destruction de l’entomofaune pollinisatrice en France et chez nos voisins européens. Dans le cadre de l’arrêté «Abeilles », la fameuse liste des plantes considérées « non-attractives », qui s’avère fausse, reste maintenue malgré nos nombreuses contestations auprès des ministères de l’Agriculture et de l’Écologie qui font la sourde oreille… Un comportement identique constaté dans l’affaire des néonicotinoïdes ! Inaction encore face à l’insuffisance d’efficacité et de pertinence des tests actuels d’évaluation des risques pesticides vis-à-vis des abeilles et autres pollinisateurs (…).

Devrons-nous encore agir en justice, comme nous avons dû le faire devant le Conseil d’État pour les dossiers « Gaucho® », « Régent® », « Cruiser® » ? Il est surréaliste de devoir systématiquement solliciter la justice sur des dossiers agronomiques ou agrochimiques pour qu’elle soit enfin appliquée par des Hommes de loi qui mettent en lumière la malhonnêteté des ministères responsables !

Cette magnifique victoire doit nous inciter à continuer à lutter pour réduire l’impact de certaines nouvelles technologies qui mettent en danger le devenir de l’humanité.

N’oublions jamais cette citation de St Exupéry : « Nous n’héritons pas de la Terre de nos ancêtres. Nous l’empruntons à nos enfants ! »

 

Pour plus d’informations consultez le site de L’Abeille de France